On a longtemps cru les grands prédateurs des océans à l’abri de l’extinction de masse en cours. Requins et raies disparaissaient des littoraux mais leurs cousins de pleine mer semblaient intouchables, protégés par l’immensité des océans.
Publiés dans la revue Nature en janvier 2021, les résultats d’une étude majeure sur une trentaine d’espèces océaniques viennent infirmer cette intuition.
Entre 1970 et 2018, les scientifiques estiment qu’au moins 70% des requins océaniques ont disparu. Dans les zones tropicales, ce chiffre frôle les 90%.
Aujourd’hui, les trois-quart des grands requins sont en danger d’extinction. À ce rythme-là et sans action globale, ce n’est qu’une question de temps avant que les garants de l’équilibre des océans ne disparaissent.
Du shark finning à la prise accessoire
Malgré les appels répétés de la communauté scientifique, la plupart des espèces de requins sont toujours pêchées aujourd’hui.
Autour des années 2000, les pêcheurs tuent entre 25 et 75 millions de requins chaque année. Ils pratiquent le shark finning, la pêche aux ailerons. Durant cette période, la soupe d’aileron est en vogue sur le continent asiatique. Les requins deviennent vite si rares qu’une course à l’aileron est lancée. Une course qui mène à l’anéantissement total de populations dans plusieurs régions.
Les premières espèces visées sont les requins marteaux, les requins Mako et les requins océaniques, toutes parmi les plus en danger aujourd’hui.
La première alerte vient du secteur de la pêche lui-même, avec un effondrement du nombre de prises. L’Afrique du Sud et l’Australie, dont les côtes sont connues pour abriter de grandes populations de squales, ne sont pas épargnées par le phénomène.
En 2014, plus de 100 pays interdisent la pratique du shark finning. De son côté la Chine réalise des campagnes de sensibilisation pour faire baisser la demande.
Aujourd’hui, les grandes pêcheries officielles ne visent plus spécifiquement les requins. Malheureusement leurs nouvelles techniques utilisées en pleine mer ont de plus en plus d’impacts tout en étant peu sélectives. Les requins sont attrapés dans de gigantesques filets ou mordent aux lignes armées de centaines d’hameçons.
Des populations en déclin
Dans les océans, les élasmobranches (requins et raies) sont en haut de la chaîne alimentaire. Ce sont eux qui régulent les populations des plus petits prédateurs qui à leur tour régulent la vie dans les récifs.
Avant cette étude, l’IUCN estimait qu’un quart des requins étaient menacés d’extinction. Les requins formaient le deuxième groupe de vertébrés le plus menacé après les amphibiens. Avec deux tiers des espèces officiellement en danger, ils sont maintenant le groupe animal le plus menacé de la planète.
En 1980, les deux tiers des requins océaniques étaient abondants, seuls neuf étaient vulnérables et un en danger (le requin pélerin).
Aujourd’hui, trois sont en danger critique : le requin longimane (Carcharhinus longimanus), le requin-marteau halicorne (Sphyrna lewini) et le grand requin-marteau (Sphyrna mokarran).
Quatre espèces sont en danger : le requin renard (Alopias pelagicus), le requin sombre (Carcharhinus obscurus) et les deux espèces de requins mako (Isurus oxyrinchus et Isurus paucus).
Toutes les grandes espèces de poissons en danger ?
La plupart des grandes espèces de poissons subissent doublement la surexploitation : généralement moins nombreuses, leur croissance est aussi plus lente.
Les espèces côtières ont été les premières touchées. Pêchés souvent trop jeunes, les grands poissons vivant à proximité des littoraux peinent à atteindre leur taille adulte, ce qui rend leur reproduction difficile. Une étude publiée en 2020 a par exemple montré une chute drastique des populations de requins dans les récifs. Dans près d’un cas sur cinq, les requins y ont tout simplement disparus.
Ce problème s’étend à l’ensemble des grandes espèces marines. Le poisson Napoléon, plus grand labre des récifs, est aujourd’hui en danger d’extinction, tout comme plusieurs espèces de thons, les grands mérous et les anges de mer. Sans parler des espèces peu étudiées comme la raie-aigle vachette ou les baudroies.
Quel avenir ?
Fort heureusement, il y a des signes positifs. Grâce à l’arrivée des premières lois les protégeant, les requins blancs et les requins-taupes ont vu leur population remontée à partir du début des années 2000. Une espèce de requin marteau est même en meilleure santé que dans les années 70.
La mise en place de législation plus contraignantes et d’actions de conservation fortes peuvent inverser la tendance, comme en témoigne le retour des thons rouges et des grands mérous en Méditerranée.
Pour compléter cet arsenal, les scientifiques préconisent la création de grandes aires marines protégées. Ces sanctuaires seraient des lieux sûrs pour maintenir des populations saines et diversifiées d’espèces… Une solution de transition en attendant un changement chez les pêcheurs et les consommateurs ?
Photographies – Bannières
Poisson Carcharhinus galapagensis © The Ocean Agency – Ellen Cuylaerts
A propos de l'auteur
Benoit Chartrer est un membre fondateur et pilote le projet Fishipédia. Sorti d'une formation d'ingénieur en physique, il a progressivement changé de spécialisation en se tournant vers les technologies Web. Passionné de voyage et de biologie, il tient également un compte Instagram dédié à la photographie animalière.